DAI JIN ET WU WEI

DAI JIN ET WU WEI
DAI JIN ET WU WEI

Dai Jin et Wu Wei sont à peu près les deux seuls représentants de la peinture professionnelle de l’époque Ming (appelée aussi «école du Zhejiang») dont le nom ait tant bien que mal survécu à l’anathème des lettrés. Dans quelle mesure cette hostilité des amateurs, relativement tardive mais finalement fatale pour les professionnels, se justifiait-elle esthétiquement? Le dossier de cette querelle est complexe et mériterait d’être réexaminé.

Deux peintres de métier

Sur la biographie de Dai et de Wu, on ne possède que quelques indications vagues et schématiques. Selon une tradition dont la véracité est incontrôlable, Dai Jin aurait été artisan orfèvre avant de devenir peintre. Il ne fit qu’un bref passage à l’académie impériale de Xuanzong, qui régna de 1426 à 1436: il en fut évincé par des rivaux jaloux. Il existe diverses versions de l’intrigue qui provoqua son départ; le détail de ces anecdotes probablement apocryphes importe peu, retenons-en seulement le sens général: Dai Jin avait une éblouissante facilité de main, mais une médiocre connaissance du monde mandarinal et lettré. Après son échec à la cour, Dai Jin regagna sa ville natale de Hangzhou, où les traditions paysagistes de l’école des Song du Sud (Ma Yuan, Xia Gui) étaient restées en honneur. Il leur infusa une vitalité nouvelle; à la tête d’une dynastie familiale d’artistes (son fils, sa fille et son beau-fils étaient tous peintres), il imposa un ensemble de procédés et une esthétique qui, sous le nom d’école du Zhejiang, devaient connaître une vogue considérable jusqu’au début du XVIIe siècle.

Quant à Wu Wei, dont l’art est à la fois un dérivé et un développement de celui de Dai Jin, il fit carrière dans l’académie impériale; les historiographes lui attribuent une étourdissante rapidité d’exécution (confirmée d’ailleurs par le témoignage de ses œuvres), ainsi qu’une forte propension au vin et à la fréquentation des courtisanes: c’est à peu près tout ce que l’on sait de sa vie.

Limites et originalité de la peinture de genre

Chez Dai Jin, les techniques du pinceau sont évidemment empruntées à Ma Yuan et Xia Gui; mais, en ce qui regarde la composition du paysage, son art n’est pas moins tributaire des Song du Nord (Fan Kuan, Li Tang): il s’efforce en fait de traduire dans le langage formel des Song du Sud – écriture abrégée et rapide – la vision ample et globale des Song du Nord. Cette tentative de synthèse des deux écoles est intéressante et originale, mais elle n’est pas entièrement satisfaisante: l’encombrement de la composition ne réussit pas à restituer le puissant espace de Fan Kuan, cependant qu’il fait regretter l’éloquente économie et les vides suggestifs de «Ma-Xia». Que ce fût en proposant une vaste vision cosmique ou au contraire en fixant un simple instantané, les maîtres des deux âges Song renvoyaient toujours à un sentiment de permanence et d’intemporalité. Chez Dai Jin, l’ampleur devient prolixité, l’instantané tombe dans l’anecdote et la scène de genre. Sa peinture, décorative et habile, reste plate: elle se contente de juxtaposer les trop nombreux éléments du décor sans arriver à suggérer une profondeur, à fondre ces éléments dans une synthèse spatiale.

Wu Wei, lui, apporte dans l’exécution de ses scènes de genre une célérité de pinceau et une vigueur frénétique qui viennent superbement transcender le prétexte anecdotique. Son métier, largement hérité de Dai Jin, va beaucoup plus loin que celui de son prédécesseur dans le sens de l’audace simplificatrice; il a une façon fruste et abrupte de réduire les figures à quelques signes nerveux, explosant d’une vitalité qui les porte au bord de la caricature. Outre la nature souvent vulgaire de ses sujets, la critique lettrée lui reproche évidemment l’absence d’aura, le caractère trop explicite et agressif de sa peinture. Mais, après tout, les mêmes reproches ont été faits aux maîtres de la peinture Chan, Liang Kai et Muqi, et s’appliqueront à un grand excentrique comme Xu Wei: Wu Wei se trouve décidément en bonne compagnie.

Vicissitudes critiques de la peinture professionnelle

Le discrédit dans lequel est ultérieurement tombée l’école du Zhejiang ne doit pas faire oublier qu’elle connut son heure de gloire. L’opposition théorique entre les peintres professionnels considérés comme des artisans vulgaires et les amateurs aristocratiques est, pour une large part, due à la critique du XVIIe siècle. Avant que le dogmatisme de Dong Qichang ne soit venu uniformiser les critères du bon goût en assujettissant celui-ci aux caprices d’un cercle étroit, le monde pictural chinois avait présenté une remarquable diversité, et en particulier les esthètes Ming avaient témoigné dans leurs jugements critiques d’une indépendance qui reflétait bien l’effervescence intellectuelle de l’époque: ainsi, durant le XVIe siècle, Dai Jin non seulement fut considéré comme le plus grand peintre Ming, mais même se trouva placé par certains au-dessus des maîtres Yuan! Dans la suite toutefois, on ne devait plus voir en lui que le premier des «peintres de métier», tandis que Shen Zhou était promu le plus grand des peintres lettrés. Puis survinrent Dong Qichang et sa coterie, qui devaient ruiner définitivement la position de l’école du Zhejiang, attribuant aux seuls lettrés la qualité d’artistes. Devant ces attaques, les professionnels étaient mis en infériorité, leur manque d’éducation littéraire les empêchant de formuler une défense en termes de théorie esthétique. La critique des lettrés n’était d’ailleurs pas dépourvue de tout fondement: l’école du Zhejiang était finalement tombée dans une certaine décadence maniériste. Malheureusement, cette offensive, partiellement justifiée, remporta une victoire trop absolue; la gloire initiale de Dai Jin avait certainement été surfaite, mais ce fut une injustice de le confondre, ainsi que Wu Wei, dans un mépris que seuls méritaient leurs médiocres épigones.

Professionnels et lettrés avaient précédemment entretenu de bons rapports; à certaines périodes, leurs œuvres se distinguaient d’ailleurs difficilement les unes des autres. Leurs apports respectifs étaient largement complémentaires, les professionnels illustrant l’importance de la compétence technique, de la rigueur du métier, et entretenant un lien plus étroit avec la réalité, une certaine ouverture sur la vie quotidienne et la société, tandis que les lettrés de leur côté préconisaient le primat de la nécessité intérieure, de l’inspiration, de la motivation spirituelle. L’école du Zhejiang malheureusement ne se releva pas de la condamnation prononcée contre elle par les lettrés; à partir du XVIIe siècle, la peinture professionnelle cessa d’être une composante significative de la vie artistique chinoise et ne se perpétua plus guère qu’au niveau d’un artisanat anonyme, assez grossier. Privée de son contrepoids naturel, la peinture lettrée se trouvera dès lors d’autant plus exposée aux dangers inhérents à son esthétique: un aristocratisme et une cérébralité exsangues, une pauvreté et une maladresse de moyens techniques mal dissimulés derrière une recherche trop souvent dénuée d’originalité.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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